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J’adore aller au cinéma. Et quand un film me touche ou m’exaspère, j’aime comprendre pourquoi. Même si je me suis déjà adonné à la critique de spectacles, formé à l’exercice par Patrice Pavis dans les années 90, ce qui suit est ma première critique de cinéma. L’objectif est d’ouvrir un dialogue entre émotion et raisonnement, sans doute pour comprendre le modus operandi de l’œuvre, afin d’en assimiler le mécanisme. Réaliser une critique, c’est un peu comme démonter un réveil: tomber amoureux de la beauté des rouages et de leur interdépendance, et le remonter après coup, en espérant qu’il fonctionne à nouveau.

Titre: Perfect Days
Réalisateur: Wim Wenders
Scénario: Wim Wenders et Takayuki Takuma
Durée: 2h05
Sortie: Novembre 2023

Lien vers fiche film Allociné

Le héros est un agent d’entretien des toilettes publiques de Tokyo. On suit son quotidien simple et méthodique: pliage de sa couette et de son matelas, arrosage de ses bonsaïs, lustrage des toilettes publiques, etc. Même ses soirées et week-ends répondent à une sorte de cérémonial: bain public, pressing, etc. La météo changeante, son nouveau livre hebdomadaire et la cassette audio qu’il écoute durant le trajet vers son travail font partie des rares fantaisies de sa vie. Aussi, quand des éléments viennent perturber ce rythme élémentaire, on se sent violenté: un collègue lui emprunte sa voiture, ce qui provoque une panne sèche, la petite amie du collègue lui subtilise une cassette, sa nièce de passage l’oblige à dormir dans sa cuisine…

Quand on découvre que sa sœur est fortunée, qu’il ne veut pas voir son vieux père, que ses cassettes datent toutes des années 80, on soupçonne un traumatisme passé qui l’a poussé à entrer dans ce dénuement. La pitié qu’on a pour lui, pour son indigence financière, son isolement, se transforme en une légère colère: on a envie de le voir bouger, notamment quand sa vie semble le perturber à dessein. Et on sort du film en se disant qu’il y a des gens qui de nos jours vivent comme il y a 70 ans, par entêtement, par blessure. On est charmé par les images, troublé par la longueur du film. Peut-être Wenders aurait-il pu raconter la même chose en trente minutes de moins.

Et puis le temps fait son œuvre. C’est le lendemain que j’ai eu le déclic. J’ai réalisé que j’avais été leurré par l’illusion du naturalisme. Ce film est en fait une fable philosophique. Dans le film, notre héros croise d’abord un enfant perdu, puis deux jeunes amoureux, puis s’occupe d’une enfant. Il croise un fou, déjeune dans un temple en plein air, cultive son jardin de bonsaïs issus de ce temple… Psychologiser ce film est un piège, un faux miroir. La vérité est ailleurs.
Ce film m’a fait penser aux jardins de promenade japonais, dont nous avons un excellent exemple en France avec le Parc du Maulévrier, près de Nantes. Quand on entre dans ce jardin, soit on s’y promène, charmés, mais aveugles, soit on prend la claque de la révélation. Tout se construit autour du parcours de l’eau: d’abord une source, comme une naissance, puis un petit ruisseau, tumultueux comme l’enfance, quelques chutes d’eau, fracassantes comme l’adolescence, et au fil de l’eau, un grand lac, l’âge adulte. Et quelque part sur ce lac, les îles de la grue et de la tortue, terres divines qu’on peut ne jamais trouver. Dans ce jardin, on peut ressentir l’agrément, ou percevoir le sens de la vie. Le film de Wenders fonctionne comme le parc du Maulévrier. On peut s’y promener avec les codes du naturalisme, trouver les images charmantes mais le temps un peu long. Ou bien regarder autrement et trouver la paix.

Nicolas Soloy

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