Le premier spectacle dont j’ai eu conscience de faire la mise en scène a été présenté en 1980 au cours de deux représentations. Prémice des spectacles de rue que j’allais monter adulte, “Le Roi se pleure” était une comédie burlesque qui se jouait en extérieur. Nous avions passé du temps à écrire le texte, répéter, réunir les costumes et accessoires, et gérer les effets spéciaux! J’avais 15 ans lors de ma seconde mise en scène. Il s’agissait d’une adaptation du texte d’E.A. Poe, “Le Masque de la Mort Rouge”. Les services municipaux en avait fabriqué les décors, une série de boîtes peuplées de marionnettes de ma conception. Nous portions des masques en papier mâché que j’avais imaginés pour donner la parole aux principaux personnages. J’avais déjà un goût prononcé pour la pluridisciplinarité.

Depuis, en plus de quarante ans, j’ai porté plusieurs dizaines de spectacles à la scène, à travers plusieurs centaines de représentations pour plusieurs centaines de milliers de spectateurs. Je me suis spécialisé dans le spectacle de rue, en ce qu’il permet au public de comprendre et de s’approprier l’ensemble des mécanismes de la représentation, depuis la partie technique jusqu’au jeu des comédiens.

En 1999, après plusieurs années durant lesquelles j’ai œuvré comme comédien ou metteur en scène auprès de compagnies de rue comme de salle, je fonde aux côtés de Pascale Joly la compagnie Les Anthropologues, afin de développer mes propres univers, entouré d’artistes pluridisciplinaires.

Après toutes ces années passées à jouer sous la direction de divers metteurs en scène, pour la salle comme pour la rue, j’ai pu constater une chose: il n’y a pas d’école de mise en scène en France, même pas dans les Conservatoires. Les metteurs en scène sont souvent des comédiens qui sont passés de l’autre côté, comme c’est mon cas, parfois des universitaires sans bagage pratique, et en ce qui concerne le spectacle de rue, ce sont parfois des plasticiens, de techniciens, etc. Ce pourrait être noble et bienheureux, car nous avons affaire à des esprits non formatés.

Mais les dérives sont nombreuses. En effet, mettre en scène, c’est d’abord diriger une équipe. Avant même de savoir créer un objet artistique en groupe, cela demande de connaître le droit du travail, le fonctionnement des licences du spectacle vivant, les conventions collectives. Or la méconnaissance est souvent patente. Du coup, nombre de comédiens travaillent sans être payés, ce qui génère un trouble: est-on embauché pour ses compétences, ou parce qu’on accepte de ne pas être payé, ou parce que le metteur en scène nous aime bien? Abus de pouvoir, comportement de gourou sont les conséquences directes de cette absence de formation.

Quid par ailleurs de l’approche pédagogique et psychologique? Nombre de metteurs en scène violentent leurs comédiens pour susciter des états psychiques instables, dont ils se nourrissent, à la manière de vampires. Harcèlement, perversion narcissique sont des travers qui se révèlent aujourd’hui au grand jour mais qui sont liés en partie à cette carence.

Bref, je caresse le rêve de monter un jour une école de mise en scène.