La première fois que j’ai entendu parler de psychanalyse, je devais avoir une dizaine d’années. Mes parents avaient un couple d’amis, tous les deux en analyse. Il y avait quelque chose d’admiratif dans la voix de ma mère quand elle en parlait. Puis elle continuait avec un: « Ah, si j’avais des sous, je ferai une psychanalyse!” Leurs amis ne semblaient pas rouler sur l’or, mais ils avaient l’air heureux. Puis, quelques années plus tard, c’est Freud qui s’est invité dans les conversations familiales, quand ma mère a repris des études à la fac de Vincennes: il y avait une UV psycho! Mais quand mon frère fut en souffrance à l’entrée de l’adolescence, la psychanalyse s’est éloignée d’un coup: “Ce sont les fous qui consultent, il n’y a pas de fous chez nous!”

Freud est revenu quand je suis arrivé en philo, l’année du bac. C’était au programme. J’ai découvert avec méfiance et curiosité les “Cinq Leçons de psychanalyse”, parvenant enfin à élaborer une pensée autour de celui dont ma mère me lançait malhabilement le nom au visage lorsque, crise d’adolescence aidant, je reprochais tant et tant de choses à mes parents: “Tu fais ta crise d’ado, Freud l’a écrit, ça te passera.”

Qui était ce type qui savait tout de moi avant même que je ne l’aie fait, pensé, désiré? J’ai commencé à voir se dessiner les portes de l’inconscient et à imaginer le monde qui se cachait derrière. Alors forcément, quand l’heure de la fac eut sonné, je pris aussi une UV en psycho. Sur le Psychodrame de Jacob Levy Moreno.

Les années passèrent. C’est ma compagne qui la première eut recours à un psychologue. J’étais impressionné et curieux. Mais le tabou maternel m’empêchait de franchir le pas. Je commençais alors à mener des ateliers théâtre dans un hôpital de jour auprès d’adultes souffrant de psychoses. Démarrait une aventure qui allait durer presque trente années, et qui se poursuit encore.

Puis je devins papa, par deux fois. Et c’est mon fils qui tout petit rencontra un psychologue, pas parce qu’il était fou, mais parce que sa maman et moi ne savions pas comment accueillir ses sanglots violents et récurrents au réveil. Était-ce aussi simple et évident que ça de rencontrer un psy? J’eus la réponse quand ce fut mon tour.

Quelques années plus tard, j’écoutais une émission télévisée durant laquelle, après avoir entendu la psychologue Arielle Adda parler des enfants surdoués, je m’effondrais en larmes: elle parlait de moi, de ce que je ressentais en moi depuis si longtemps. Ma compagne m’invita à consulter le bottin au cas où Mme Adda habitât Paris… et j’obtins mon premier rendez-vous. Au bout de dix-huit mois, quand je me mis à aborder l’univers familial de mon enfance, elle me signifia qu’elle ne saurait pas m’accompagner plus loin.

Quelques mois plus tard, presque par hasard, je rencontrai Christopher Fleischner, le psychanalyste avec lequel j’entrepris cet incroyable voyage qu’est l’analyse. Un voyage qui dura dix-sept années. Un voyage qui me fit rencontrer la réalité du psychodrame, aborder le théâtre forum, modifier ma façon d’écrire et de mettre en scène. Lectures, expérimentations, art thérapie auprès de mes patients psychotiques, et divers projets de spectacles et de films menés avec eux, ont enrichi ce parcours. C’est ainsi que je suis aujourd’hui amené à accompagner mes propres patients dans cette merveilleuse aventure qu’est la psychanalyse.